Manger ou taxer les riches ?

Où l’on ne parlera ni de gouvernement, ni de démission, ni de dissolution parce que comme vous l’aurez remarqué ça bouge un peu vite. Et je risquerais d’être grossier.

Manger

« Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger », écrivait ironiquement et il y a bien longtemps un gars qui a tellement la cote chez les bourgeois qu’ils utilisent son pseudo pour désigner le français, alors que toute son œuvre les tourne en ridicule. N’empêche : il faut manger. Il faut manger, et tant qu’à faire manger des trucs qui ne nous font pas crever… Or manger sainement n’est à la portée de toutes les bourses aujourd’hui, même en France – ni même tout simplement manger assez.

Les Restos du Cœur ne désemplissent pas, et c’est sous Emmanuel Macron qu’on a vu apparaître dans les universités des files interminables d’étudiant·es venant chercher une aide alimentaire. Les cancers sont de plus nombreux dans la population, et l’alimentation est un des nombreux facteurs qui expliquent cette augmentation. Comme si ça ne suffisait pas, les personnes qui produisent ce qu’on mange, paysan·nes et employé·es agricoles, sont trop souvent touchées par la précarité (oui, elles aussi : en même temps il y a 11 millions de pauvres en France).

Un point rapide sur le sujet cancer & alimentation :

Je m’aperçois que j’ai peut-être fait une bêtise en me mettant enfin à ce blog : c’est très difficile de rester concentré sans partir dans tous les sens et me perdre dans des recherches. Croyez-moi, je me fais violence pour ne pas évoquer la question éthique et le véganisme ou comment la bouffe est située socialement. Trêve de digressions donc, et place à la solution à tous les problèmes ou presque ; parlons de la sécurité sociale de l’alimentation.

Difficile de faire plus simple et efficace : et si on étendait la Sécu pour permettre à tout le monde, en plus de se soigner, de s’alimenter correctement tout en assurant une rémunération correcte aux travailleur·ses du secteur ? Voilà. Pour en savoir plus, le site du collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation est un très bon début.

La Sécu a 80 ans cette année, 80 ans à nous soigner et 80 ans à être attaquée par tous ceux qui pensent qu’ils valent mieux que les autres parce qu’ils ont de l’argent, eux. 80 ans qu’elle fonctionne plutôt pas mal et en tout cas bien mieux que les autres solutions. Plutôt que de rester en défense et de laisser les forces réactionnaires grignoter progressivement nos conquêtes sociales, ne serait-il pas temps de (re)passer à l’offensive en étendant l’une des plus belles ?

C’est l’objet d’une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par la gauche fin 2024.

Taxer les riches

Dans le style « mesure de gauche qui marche bien dans le débat public », difficile de faire mieux que la désormais fameuse « taxe Zucman ». Beaucoup a déjà été dit dessus, elle semble avoir les faveurs de l’opinion (mais je ne mettrai pas de lien vers un sondage, parce que les sondages c’est – pardon – de la merde en barre, on en parlera un jour) il y a même une pétition sur le site de l’Assemblée nationale, mais j’avais envie de faire une synthèse rapide ici.

Cette mesure fait elle aussi l’objet d’une proposition de loi déposée par la gauche, votée en première lecture à l’Assemblée avant d’être rejetée par le Sénat ; le travail n’est pas terminé.

Le principe : mettre en place un impôt plancher pour les (vraiment plus) riches, en l’occurrence ceux qui disposent d’un capital supérieur à 100 MILLIONS d’euros, pour qu’ils paient au total au moins de 2 % de celui-ci chaque année. Dit comme ça, on peut avoir l’impression en fonction de sa sensibilité d’un truc énorme ou au contraire ridicule, d’un « délire communiste » lorsqu’on est patron de Bpifrance où d’une « capitulation » lorsqu’on est un économiste de gauche radicale. Je ne vous cache pas que je suis plus proche politiquement du second, ce qui ne m’empêche pas de n’être pas tout à fait d’accord.

La taxe Zucman n’est assurément pas un délire communiste, ni effectivement une mesure révolutionnaire, une offensive-vraiment-de-gauche contre les forces capitalistes : c’est avant tout une mesure d’égalité devant l’impôt.

En effet, il est avéré qu’en France le taux d’imposition est généralement progressif (plus on gagne, plus on donne une part élevée de ses revenus) sauf pour les très hauts revenus, justement ces ultra-riches qui représentent environ 0,1 % de la population : en d’autres termes, tout le monde paie une part d’impôt plutôt juste sauf les plus riches. C’est possible parce que lesdits ultra-riches ne touchent pas un ultra-salaire, une ultra-paie avec une fiche au bas de laquelle on pourrait ajouter une jolie ligne d’ultra-taxe : c’est leur capital qui rapporte, par une flopée de mécanismes qu’on connaît très mal lorsqu’on ne fait pas partie du club des gens qui n’ont pas besoin de vendre leur force de travail pour vivre — si vous me lisez il y a des chances que vous apparteniez plutôt à ce que les marxistes appellent le prolétariat.

C’est une bonne situation, ça, capitaliste ? Plutôt, oui : avoir du fric (plus qu’on ne peut en dépenser même en essayant très fort, je veux dire) ça rapporte, facilement entre 6 % et 10 % par an, et ça donne une situation où les richesses sont de plus en plus concentrées entre les mains de quelques-uns. Dans ce contexte, « taxer à hauteur de 2 % du patrimoine » c’est s’assurer que ceux qui disposent d’un attirail d’artifices pour se soustraire à l’impôt mettront quand même une partie de leurs revenus au pot commun. « Ce n'est vraiment pas beaucoup » mais c’est « nécessaire », résume le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz.

Ni symbolique ni confiscatoire, cette mesure ne va pas mettre fin à la domination des bourgeois : simple et concrète, c’est une correction à la marge en attendant de repasser à l’attaque.

Manger les riches ?

Vous l’aurez compris, le « ou » du titre était trompeur : manger c’est important, taxer les riches aussi. Les bouffer eux, littéralement, n’est pas une solution pérenne pour nourrir tout le monde. C’est en revanche un slogan plutôt marrant et le titre d’un bouquin de Nora Bouazzouni que je m’autorise à recommander même si je ne l’ai pas lu : Mangez les riches.


C’est la fin de ce second billet, c’est un peu frustrant parce que ça m’a pris du temps de l’écrire (pour bien sourcer mes propos) et j’ai l’impression que c’est quand même pas bien consistant. Mais j’ai les idées claires, c’est déjà ça !