Micro-trottoir, méga-arnaque
Un trottoir, un micro, des vrais gens et surtout pas de journalistes : comment remplir une émission à peu de frais.![]()
Traverser la rue, ne trouver que Lecornu
Il y a quelques jours, j’ai regardé le JT de France 2 pour constater en direct que l’ex-Premier ministre éphémère (re-Premier ministre à présent, du moins au moment où j’écris ce billet) n’avait pas grand-chose à dire — chacun ses passions tristes.
Pas de bol, je suis arrivé un peu trop tôt : avant d’accueillir le fidèle parmi les fidèles d’Emmanuel Macron (Sébastien Lecornu, donc), le service public a un peu meublé. La transcription de mes réactions telles qu’elles furent partagées en ligne et en direct témoigne de ma surprise et de mon agacement.
MAIS
Le 20h de France 2 commence par un MICRO-TROTTOIR ?
BORDEL ON LEUR APPREND QUOI DANS LES ÉCOLES DE JOURNALISME ???
Quelques secondes plus tard :
Oh ça m’énerve.
Puis l’inspiration.
Très bien la semaine prochaine je vous raconte pourquoi les micro-trottoirs c’est de la merde.
Et enfin la stupéfaction :
DEUX MICRO-TROTTOIRS ?
Je ne regarde que très rarement la télévision, j’étais donc ignorant : on m’expliqua que les micro-trottoirs sont très, très fréquents sur les chaînes dites « d’info », et je dois dire que ça ne me rend pas bien jouasse.
Qu’est-ce que le journalisme ? Porter à l’attention du public des faits, les contextualiser, éventuellement y ajouter des analyses ou commentaires (de façon honnête, puisque neutralité comme objectivité sont des illusions).
Qu’est-ce que le micro-trottoir ? Comme son nom l’indique, trimballer un micro sur un trottoir et laisser des gens dire des trucs dedans. Comme son nom ne l’indique pas, une technique de fabrication de l’opinion permettant de prétendre à une fausse neutralité en faisant comme si toutes les voix étaient entendues.
Nul by design
Le micro-trottoir est foireux de bout en bout, aussi bien quand la question est posée à une personne dans la rue sans être contextualisée que lorsque la sélection des extraits est faite pour être diffusée pendant le journal télé.
Le choix de la question est crucial, parce qu’il permet de cadrer la réponse ; à moins de tomber sur une militante aguerrie, un gars qui connaît le sujet, la réponse sera automatiquement dans les limites de l’énoncé. Si deux choix sont donnés, arbitrairement, rarement un troisième sera préféré par une personne qui aurait bien en tête le contexte de la question. Face à une question fermée, il est toujours difficile d’expliquer que « c’est plus compliqué que ça » — et comme c’est trop long pour le format, ça ne sera pas retenu, ou très coupé.
Je ne pense pas que les gens, en majorité, soient stupides ou égoïstes ; un très bon exemple est la Convention citoyenne pour le climat qui avait montré en 2020 qu’un échantillon de la population tiré au sort, avec un peu de temps et d’information, était parfaitement capable de décider d’un ensemble cohérent de mesures pertinentes et plus drastiques que ne l’avaient fait les gouvernements des décennies précédentes. Or il n’échappera à personne qu’un micro-trottoir ne ressemble que très peu à une Convention citoyenne — c’est une situation qui amène rarement des réponses pertinentes.
Sachez quoi penser
Tant pis si la forme du micro-trottoir ne donne que des avis creux et non éclairés : ils seront présentés tels quels au public, comme s’ils donnaient un aperçu de l’opinion, de ce que pensent les Françaises et les Français. Et si c’est ce que les gens pensent, c’est ce qu’on doit penser aussi quand on regarde le JT — avec bien souvent le choix entre un centre mou et une droite dure. La réforme des retraites ? On n’a pas le choix. Sarkozy en prison ? Quand même, quelle image on donne de la France. Taxer les riches ? Ah non, ils risquent de partir… Pas besoin d’éditorialistes en plateau quand on peut faire dire la même chose qu’eux directement par les vrais gens.
Le micro-trottoir est du même acabit que le sondage d’opinion : questions biaisées, échantillon pourri, contexte inadapté… mais résultat très présentable. De la merde, mais bien emballée.
Et oui, on aura l’occasion d’en parler, des sondages, parce que des élections arrivent et qu’on va encore s’en taper un paquet. Alors que si tout le monde faisait comme Mediapart…