J’aimerais que les transports en commun soient gratuits à Lyon
Mais pour ça il faut transformer la société dans une direction qui n’est pas vraiment le projet des bourgeois comme Jean-Michel Aulas.![]()
Que chaque personne ait une solution simple, efficace, peu polluante pour se déplacer, sans être bloquée par ses ressources ni sa santé : c’est ce vers quoi devrait tendre une société qui se targue d’être civilisée. Liberté et égalité. Force est de constater qu’aujourd’hui, on en est loin dans beaucoup de villes en France :
- des transports en commun rarement accessibles, et des pouvoirs publics encore peu formés à la prise en compte des différents handicaps (visibles et invisibles)
- des quartiers peu ou pas desservis
- des voitures partout, qui sont pour tout le monde dangereuses lorsqu’elles roulent et gênantes lorsqu’elles ne roulent pas (sans blague, vous devriez essayer de trimballer une poussette en ville)
- fréquences hasardeuses, horaires itou
Sur ce dernier point, j’aimerais évoquer un sujet qui l’est rarement quand on parle des transports en commun : les conditions de travail. On veut des bus qui roulent tard ? Il ne faut pas oublier qu’ils ne roulent pas tout seul (je vous fais grâce d’un laïus sur les véhicules autonomes) et que le secteur du transport repose sur des métiers pénibles. Ça n’est évidemment pas le seul facteur qui explique l’offre insuffisante à certains endroits, mais mieux payer les conducteur·ices serait peut-être une piste à explorer.
Un point validisme en passant. Souvent la question du handicap sert d’alibi à ceux qui veulent avant tout maintenir la domination de la voiture dans l’espace public : la réalité c’est que les personnes ainsi instrumentalisées se déplacent moins en voiture, et davantage sur les trottoirs ou en transports en commun (SDES, 2023). Vous voulez faciliter la vie des handi·es ? Dégageons une bonne partie des voitures, ça fera de la place pour celles qui sont nécessaires et pour toutes les personnes qui n’en utilisent pas.
Qui doit payer ?
Et la gratuité, alors ? Comme souvent quand on creuse un peu les sujets plutôt que de s’arrêter à une intuition : c’est compliqué. Pour une approche générale, je vous renvoie à un très récent post d’Aurélien Bigo (sur LinkedIn — le réseau de cette saloperie qu’est Microsoft — ou sur Bluesky — c’est pas méga mieux mais c’est pas moi qui décide où publient les gens). Il y a également une tribune de 2024 chez Bon Pote : Les transports gratuits : une fausse bonne idée ? En gros, rendre gratuits les transports en commun, ça peut (très bien) fonctionner dans certains cas (notamment les plus petites agglomérations)… mais c’est loin d’être une solution magique, et parfois c’est même contreproductif, avec une dégradation nette du service.
Le réseau de transports en commun lyonnais est un des plus denses et fréquentés du pays, et — d’après le rapport 2025 de la Chambre régionale des comptes — « la satisfaction des usagers du réseau est relativement élevée » (en tout cas, les notes sont meilleures que celles que j’avais au lycée). C’est cool. Ça fonctionne. Mais il a encore besoin de se développer, beaucoup, notamment à l’extérieur de la ville de Lyon, centre d’une métropole inégalement desservie. Et c’est en cours ! On peut râler sur les travaux, mais les trams vont rouler, les voies de bus vont permettre à un sacré paquet de personnes de mieux se déplacer — d’autant plus vite si toutes les mairies bossaient pour les gens plutôt que pour les bagnoles. Il va falloir comprendre à un moment que l’automobile-reine est une bizarrerie passagère de l’Histoire, et qu’on ne peut pas laisser des gens dans une situation de dépendance forcée.
Pour développer un réseau, il faut du fric ; le souci c’est qu’on en a besoin pour plein de choses importantes… et que l’État a un peu de mal ces temps-ci avec l’idée que les collectivités puissent bosser correctement (cf. le projet de budget). Dans le cas du Grand Lyon, on a une assez bonne idée des conséquences d’un passage à la gratuité totale, grâce à une étude très complète de 2019 (Réflexions sur les enjeux de la gratuité pour le réseau TCL) : ce serait financièrement catastrophique, avec des économies (sur les billets et les contrôles) dérisoires par rapport à la perte des recettes, un déclin rapide et assuré du réseau.
Cette même étude mettait en avant les possibilités en matière de tarification progressive : c’est déjà en partie le cas dans la métropole (gratuité jusqu’à 10 ans inclus, et tarifs solidaires allant jusqu’à la gratuité) mais il y a matière à étendre les offres, et surtout à améliorer l’accès à celles-ci (comme trop souvent pour les droits et aides dans ce pays).
Un service public n’a pas besoin d’être rentable, mais dans une collectivité si on met de l’argent quelque part c’est qu’on le prend ailleurs. Et il me semble que la priorité pour la métropole, c’est d’améliorer le réseau pour permettre que le changement des modes de déplacement qui a déjà commencé passe à la vitesse supérieure.
Taxer Jean-Michel Aulas
Dans ce contexte où les propositions de gratuité totale semblent déjà peu pertinentes (pour le Grand Lyon), la proposition du candidat de la droite et du centre (HAHAHA) à la mairie de Lyon est difficilement qualifiable en des termes polis, je me contenterais donc de la dire mal ficelée et démagogique. Gratuité pour les lyonnais·es gagnant moins de 2 500 € nets ? Ça cumule les inconvénients : on garde tous les coûts de billetterie et de contrôle, on perd les recettes des abonnements déjà à moitié payées par les employeurs, et on crée une énorme inégalité territoriale. Je serais concerné, et franchement ça me dégoûterait profondément de bénéficier de ça sous prétexte que je loge du bon côté du périph. Et ce serait financé en allant chercher des dizaines de millions qui n’existent pas dans les dépenses de communication, je ris jaune.
Il y a pas mal d’argent à trouver localement, notamment si on regarde du côté des taxes sur les entreprises ou l’immobilier. Moi ça me va, je suis attaché au principe de la redistribution où chacun donne selon ses moyens pour recevoir selon ses besoins, mais j’ai des doutes sur le fait que ce soit réellement le projet de Jean-Michel Aulas. Aulas qui fait d’ailleurs partie du club très select des personnes qui seraient concernées par la taxe Zucman, puisque sa fortune personnelle dépasse les 450 millions d’euros… En attendant qu’on arrive à correctement taxer les riches, où mieux à bâtir une société où les ressources ne sont pas accaparées par un petit nombre de personnes, petite suggestion pour JMA : s’il aime tant la ville de Lyon, peut-être pourrait-il lui faire don de sa thune plutôt que de sa personne.
C’est sur cette suggestion que je termine ce billet. Je sens que je n’ai pas fini d’être frustré par ce blog : c’est long à écrire (d’autant plus que je source un peu mes propos) et j’ai l’impression à chaque fois d’en dire à la fois trop et pas assez (on vit dans une société, voyez-vous, donc les sujets sont rarement simples). Mais je me suis fixé la règle de publier une fois par semaine et je vais continuer !